Interview de Jean-Christophe Anna, EffondrementEtRenaissance.com
Entretien inédit avec Jean-Christophe Anna, fondateur du site Effondrement & Renaissance, plateforme collaborative d'information et d'échanges consacrée à la question de l'effondrement du monde industriel et à ses conséquences environnementales et sociétales. Découvrez ce nouveau média et sa newsletter "Collapse is coming" au cœur de son dispositif de communication !
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A quand remonte la création du site ?
J’ai lancé le projet Effondrement & Renaissance en avril 2019 suite à l’arrêt du mouvement citoyen Strasbourg GO dont j’étais à l’initiative et dont l’objectif était de faire de Strasbourg une ville résiliente par rapport à l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle, mais aussi une ville plus humaine et réellement démocratique… Dans ce nouveau projet, je poursuis mon engagement sous une autre forme, mais toujours pour éveiller les consciences et partager les clés de compréhension de l’urgence écologique et systémique actuelle.
Pourquoi avoir lancé cette newsletter "Collapse is coming !" ?
Comme la plateforme Effondrement & Renaissance comprend un blog, la newsletter m’a semblé être l’outil le plus pertinent pour garder le contact avec mes lectrices et mes lecteurs. Je suis blogueur depuis plus de 10 ans (mon premier blog était consacré à l’utilisation des médias sociaux pour optimiser sa recherche d’emploi et booster sa carrière) et j’ai toujours associé une lettre électronique à mes différents blogs.
Quel est le contenu de votre newsletter ?
La triple ambition du projet est de permettre au plus grand nombre de mieux appréhender l’effondrement, de comprendre les raisons de notre incroyable inertie, et de découvrir les initiatives les plus inspirantes pour donner envie de co-construire une nouvelle société. Ainsi, chaque mois, les internautes peuvent découvrir les derniers articles, suivre mes aventures de citoyen engagé, ou plutôt de « Rebelle amoureux du vivant » car je consacre désormais 100% de mon énergie, de mon enthousiasme et de ma créativité, à cet immense défi, le plus important aujourd’hui à mes yeux : préserver les conditions d’habitabilité de la planète et sauver la vie sur Terre !
Est-ce que s’abonner à votre infolettre est un acte citoyen ?
Non, s’abonner à cette newsletter est un acte de curiosité. Pour parler d’engagement citoyen, il convient de passer réellement à l’action ! Mais, il est vrai que pour passer à l’action, la sensibilisation est souvent la première étape et c’est justement l’une des ambitions du projet Effondrement & Renaissance.
Est-ce qu’il est difficile d’informer sur ce thème de la collapsologie ?
Oui et non. Depuis 2015 et la publication du livre référence en France « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, la collapsologie ou plutôt la question de l’effondrement a réalisé une véritable percée dans les médias et ce sujet ô combien vital intéresse de plus en plus de monde. Les expert·e·s du sujet, Pablo Servigne, Yves Cochet, Arthur Keller ou encore Vincent Mignerot et Jean-Marc Jancovici ont multiplié les interviews. De nombreux livres ont également popularisé le sujet, notamment ceux de personnalités comme Delphine Batho, Fred Vargas ou Aurélien Barrau.
Le mauvais côté de la popularisation du sujet, c’est le traitement honteux que lui ont réservé des magazines grand public comme Valeurs Actuelles et L’Express qui, à l’été 2019, ont tout fait pour décrédibiliser les collapsologues en les qualifiant tout comme Greta Thunberg d’« apôtres de l’apocalypse » ! La désinformation atteint malheureusement des sommets pour protéger l’ordre établi, ce vieux monde qui est justement en train de s’effondrer.
Quelle est votre solution de routage ?
En fait, j’utilise l’outil proposé par Wix, le service sur lequel j’ai créé la plateforme Effondrement & Renaissance.
Comment avez-vous élaboré le design ?
J’ai choisi un template parmi ceux proposés par Wix ShoutOut. À mes yeux, pour être efficace, le template doit être au service du contenu et des photos. Pas de fioriture inutile.
Votre sujet est sérieux, même anxiogène, mais votre newsletter est plaisante et le traitement plutôt léger dans l’approche, est-ce délibéré ?
Je vous remercie. Je pense que cette infolettre me ressemble. Elle est à l’image de ma façon d’aborder ce sujet, pas forcément de manière légère. J’essaie de faire réagir, d’interpeller, mais le sujet est en effet suffisamment grave pour ne pas en rajouter. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, simplement pragmatique et lucide !
Quelle est votre stratégie pour accroître votre listing ?
Aucune stratégie en particulier. Je pense simplement aujourd’hui que l’étape-clé pour faire connaître d’avantage Effondrement & Renaissance est la future publication de mon livre en deux tomes (1/ Le climat n’est pas le bon combat 2/ Écrivons un nouveau récit pour sauver la vie), ainsi que notre grand projet L’Archipel du Vivant qui devrait faire parler de lui dans les prochains mois.
Mais j'ai observé un fait intéressant : J’avais quelque peu boosté mes premiers articles en lançant des campagnes Facebook Ads jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’elles étaient bloquées lorsque des mots tels « effondrement », « écologie », ou « climat » apparaissaient… Facebook proposant une authentification renforcée pour les contenus « sensibles ». J’ai alors choisi de ne plus utiliser ce service.
Est-ce que vous adoptez certains gestes « ecoresponsables » par rapport à votre site ?
Non, j’avoue avoir tout changé dans ma vie pour devenir en trois ans notamment minimaliste et vegan (ne plus prendre l’avion, avoir banni le plastique ou réduit considérablement ma consommation d’eau…), mais ma plateforme propose de nombreuses vidéos… J’ai prévu d’ajouter une mention invitant les visiteurs à les visionner en basse définition.
Votre newsletter n’est pas monétisée, est-ce incompatible avec votre démarche ?
Depuis que j’ai changé complètement de vie, je m’inscris dans une démarche totalement désintéressée, même si je pense depuis quelques temps à lancer un compte Tipeee.
Lorsque notre civilisation s’effondrera est-ce que l’émergence d’un internet low-tech est envisageable ?
Parmi les douze dominos que j’ai identifiés pour appréhender la grande complexité et la dimension systémique de l’effondrement de notre civilisation, l’un d’entre eux est justement consacré à la technologie. Je présente dans mon premier tome les différentes raisons pour lesquelles internet pourrait bien n’être qu’une révolution avortée pour trois raisons principales :
- L’explosion des datas et la saturation des tuyaux qui risquent de ne pas pouvoir supporter le débit, ni d’assurer la bande passante nécessaire.
- L’épuisement du pétrole qui va s’accompagner d’un déclin inéluctable de l’extraction des métaux rares indispensables pour la fabrication de nos joujoux et celle des infrastructures associées.
- L’empreinte écologique colossale de l’ensemble qui pourrait nous contraindre d’éteindre internet pour faire face à l’urgence écologique.
Certains experts évoquent la fin d’internet entre 2022 et 2025 !
Comme la plupart de nos technologies, internet n’est tout simplement pas soutenable ! L’émergence d’un internet low-tech est en effet une solution envisagée pour les services de base avec un internet beaucoup plus cher pour le streaming et les services les plus gourmands en bande passante. L’internet de demain, ce sera peut-être une multitudes de mini-réseaux locaux entre Raspberry Pi !
Il va nous falloir bientôt dire adieu à tous les outils (médias sociaux, sites web et terminaux pour y accéder) que nous utilisons au quotidien. K.O. Google !
Quelles sont les principales résistances à changer le monde actuel ?
Elles sont multiples, aussi bien anthropologiques, psychologiques, sociales, que sociétales. Ici encore, j’en ai dénombré douze. C’est énorme !
Pour synthétiser, comme le dit si bien l’anthropologue et sociologue Paul Jorion, le cerveau humain n’est pas câblé pour empêcher sa propre extinction. En voici quelques unes. Le déni bien entendu qui est un puissant mécanisme de défense par rapport à ce qui fait peur. La spécificité de notre mémoire qui est adaptative, c’est-à-dire qu’elle ne nous permet de réagir qu’à un péril déjà rencontré. Le caractère supraliminaire de l’effondrement, l’appréhension de sa grande complexité dépasse l’entendement. Nos croyances religieuses nous démobilisent puisque quoi qu’il arrive pendant notre existence sur Terre, le paradis nous est promis. Enfin, notre courte vie nous déresponsabilise des conséquences futures de nos actes.
Notre inertie est individuelle et collective. Et elle touche également nos élites. Trois possibilités les concernant : soit elles savent et ne protègent que leurs propres intérêts ; soit le dogme de la croissance infinie est trop puissant, elles ne peuvent donc pas croire à l’effondrement qui va à l’encontre de leurs croyances ; soit l’urgence du court-terme les empêche d’avoir une vision globale de l’effondrement.
Que vous inspire la pandémie de Covid-19 ?
La crise sanitaire inédite que nous vivons illustre parfaitement l’extraordinaire vulnérabilité de notre civilisation thermo-industrielle, de notre société mondialisée, et l’absence dramatique de vision et d’anticipation de nos gouvernants. À mes yeux, cette crise est une forme de répétition générale avant la phase finale de l’effondrement systémique global qui selon moi pourrait intervenir dans les cinq prochaines années, c’est-à-dire avant 2025. Je ne crois pas une seconde que l’exécutif français tire le moindre enseignement utile de cet épisode singulier. Dans le meilleur des cas, nous allons rapatrier quelques activités de production et constituer un stock de masques afin d’être mieux armé·e·s face à la prochaine pandémie. Mais il n’y a aucune chance pour que le système dominant actuel se remette en question dans son mode de fonctionnement global.
Le sociologue Bruno Latour a déclaré le 3 avril : "Si on ne profite pas de cette situation incroyable pour changer, c’est gâcher une crise", donc pour vous, sans attendre le déconfinement, les jeux sont faits ?
Je suis persuadé qu’ici comme ailleurs, dans les autres pays européens, aux États-Unis ou en Chine, tous les pays vont appuyer très fort sur le champignon afin de relancer la machine économique et de compenser, rattraper, rétablir ce qui peut l’être. Et c’est justement ce comportement qui va précipiter encore un peu plus notre chute.
Il est également possible que cette crise qui a gravement altéré les dominos sanitaire, économique et financier, soit le début d’une phase terminale d’effondrement plus lente. Je parle de phase finale ou terminale pour la simple et bonne raison que l’effondrement a déjà commencé, tant au niveau biologique, qu’énergétique ou climatique, mais aussi sur le plan alimentaire et l’accès à l’eau. Plusieurs points de rupture ont déjà été dépassés et certains processus sont désormais irréversibles.
Que les choses soient claires, notre monde est dirigé, gouverné, piloté par la finance et l’économie. L’écologie et le social sont de simples variables d’ajustement à la marge. Il n’est pas impossible évidemment que l’on mette une grosse couche de greenwashing pour faire semblant, mais rien de fondamental ne sera entrepris pour préserver les conditions d’habitabilité de notre planète. Le système dominant actuel est une entreprise collective de destruction massive du vivant, de l’humain et de la démocratie. Il ne changera pas. C’est la raison pour laquelle essayer de changer le système est vain. Notre seule et unique option est de changer DE système, d’en inventer un nouveau, d’imaginer et de co-construire toutes et tous ensemble une nouvelle société respectueuse du vivant, humainement juste et réellement démocratique. C’est justement l’ambition de l’Archipel du Vivant !
C’est quoi l’essence de ce futur projet en un mot ?
En dix mots : Résilience, Reliance, Résistance, Sobriété, Entraide, Symbiose (avec le vivant), Équilibre, Justice, Autonomie, Démocratie (la vraie pas la version hypocrite actuelle).
Comment lutter contre l'engrenage du système économique actuel ?
J’invite le plus grand nombre à ne plus rien attendre ni de l’ONU, ni du G7, ni de l’Europe, ni de l’État, ni des entreprises « classiques ». Notre salut ne peut venir que de nous, citoyennes et citoyens, et des initiatives alternatives dans les territoires : écovillages, villages en transition, tiers-lieux, ZAD, fermes bio, recycleries, monnaies locales, écoles alternatives… La résilience par rapport aux immenses chocs qui arrivent sera locale, multi-locale, à l’échelle de biorégions.
Affranchissons-nous de ce système écocidaire et suicidaire !
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Publié le 01-05-2020
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